La lumière de la lune éclairait la boutique, découvrant les visages de Nekos endormis. A quoi pouvaient-ils rêver? Famille? Liberté? Toutes ces choses qu'ils ne pourraient peut-être jamais obtenir?
Elle, ne voyait pas ça dans ses rêves. Chaînes argentées, plumes noires, gouttes de sang écarlates.Ses rêves n'étaient que douleur et prison, fleurissant sous une lune brillante. Cette même lune qu'elle regardait maintenant, ses iris rougeoyantes à demi cachées par de longs cils blancs. A genoux sur le sol de paille pourrissante, elle murmurait une chanson sans paroles, qui résonnait étrangement dans le silence de la pièce.Ses longs cheveux immaculés trainaient dans la poussière, la lumière de la lune s'y reflétant tel qu'on aurait dit qu'ils éclairaient d'eux-même.
Elle s'était résolue à ne plus rêver, elle n'y avait plus droit. Les rêves lui faisaient mal. Elle retrouvait la réalité les yeux brûlants de larmes, les mains serrées contre son coeur, ne se souvenant juste que d'une plaine de désolation, remplie d'êtres brisés. Et depuis qu'elle n'avait plus droit de rêver, elle voyait autour d'elle les autres Nekos fuir la réalité pour les songes, laissant leur corps dormir et s'échapper leur âme.

Elle n'était pas la seule à fuir les rêves. L'autre bougeait aussi, s'agitait. Ses cheveux ne reflétaient rien la nuit, mais le jour, elle voyait bien que le soleil transformait les mèches ternes en émeraudes. Mais la nuit, elle ne regardait pas, gênée par son va-et-viens constant. Un gémissement lui fit finalement tourner la tête. Roulée en boule, l'autre tremblait. Elle savait que l'autre souffrait, elle l'avait vu.

- Laissez... Moi partir...

Elle s'approcha, toujours en murmurant, et passa sa main glacée à travers les barreaux de la cage pour la poser sur la joue de l'autre. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était autant blessée. Lui avaient-ils fait subir des expériences à elle aussi?

L'autre posait sur elle un regard vide et mort. Mais elle n'en était pas choquée. Elle avait prit l'habitude des yeux sans vie des prisonniers du laboratoire. L'autre parla, et cette fois, c'était à elle que ses paroles étaient adressées.

- Tu...Tu n'arrive pas...A dormir..Nyah..?

Dormir? Pourquoi maintenant? La nuit est tellement plus belle que le jour, la Lune tellement plus brillante que le Soleil, et le silence tellement plus vivifiant que le bruit. Pourquoi donc gâcher le temps où les humains ne faisaient pas attention à elle à dormir? Elle ne répondait pas, ne bougeait pas. Seuls ses yeux écarlates semblaient deux flammes dans l'obscurité. Elle ramena sa main à elle et la posa sur ses genoux.

- Je ne veux pas dormir. Je n'ai pas le droit.

Si elle fermait les yeux maintenant, les cauchemars reviendraient. Elle ne voulait pas revivre encore et encore ces moments douloureux, elle attendrait le jour pour dormir. Elle ne bougeait plus depuis quelques minutes maintenant, mais l'immobilité ne l'avait jamais gêné. Le dos de l'autre était couvert de plaies, dont certaines coulaient encore, traçant des sillons cramoisis sur la peau blanche de la Neko. Ce devait être pour ça qu'elle avait mal. Elle se souvenait comme elle avait souffert quand elle s'était réveillée pour la première fois, et qu'elle avait sentit ses ailes. La douleur l'habitait depuis ce jour, et elle avait apprit à vivre avec. Mais l'autre n'avait pas l'air de vouloir vivre avec, et devait être de ces Nekos qui pensaient qu'il était possible de fuir, et fuir encore ce qui les entouraient. Mais Saphyr avait comprit depuis bien longtemps que quelque soit le nombre de fois où l'on essayait de fuir, la réalité nous rattrapait et devenait plus cruelle encore. Elle s'était donc sagement résignée à attendre de voir ce que l'avenir lui réservait.
Elle se leva en battant des ailes, faisant voler la paille autour de ses pieds, puis se rassit finalement. Le jour n'était pas loin, à quelques heures à peine.

Elle savait ce que l'autre voulait faire. Et elle savait qu'elle ne la suivrait pas. Si le monde de l'animalerie était difficile, le monde extérieur était bien pire, et tous ceux qui s'y aventuraient finissaient par être renvoyés ici à moitiés morts.

-Les rêves...N'existe que pour tromper... Ils sont illusions...Et cela fait plus de mal au reveil la réalité c'est...La douleur...La mort...

Elle avait raison, c'est sûr. Mais elle ne craignait plus la mort depuis longtemps. La douleur, l'enfermement oui, mais la peur de la mort s'était depuis longtemps envolée, laissant place à un vide dont elle n'arrivait pas à définir si il était douloureux où au contraire un soulagement. L'autre était à l'affut. Saphyr ne savait pas ce qu'elle allait devenir. Il était très probable que dans quelques jours, peut-être même quelques heures, elle serait de retour dans cette cage, dans un état bien pire que celui dans lequel elle était actuellement. Mais elle avait un petite chance d'en réchapper, et dans ce cas là, Saphyr savait quoi faire. Mais il lui faudrait parler vite, car la lumière de la garde se rapprochait.
Elle saisit le bras de l'autre, et le serra très fort pour avoir son attention. Elle la fixa de son regard cramoisi, intimant silence et écoute.

- Écoute moi bien. Quand tu vas partir, tu devras aller loin, très loin. Prends la direction de la forêt, jusqu'à l'aéroport abandonné. Tu devras faire très attention à ne pas être repérée par les humains, pour qu'il ne découvrent pas où tu vas. Une fois là bas, tu les verra. Ils te maltraiteront et te feront du mal, mais si tu leur prouve que tu es avec eux, tu seras acceptée.

La lumière était de plus en plus près, et Saphyr baissa la vois jusqu'à ne laisser fuir qu'un chuchotement infime.

- Je ne sais pas si nous nous reverrons. Bonne chance, et adieu.

Elle lâcha finalement le bras de l'autre, et retourna au fond de la cage, sans un regard. Elle lui avait dit ce qu'elle savait, ce dont les Nekos du laboratoire parlaient sans cesse. Elle même ne savait pas si c'était vrai, ou si l'aéroport des Nekos libres n'était qu'une légende pour ne pas perdre espoir. Mais l'autre pourrait tenter sa chance. Elle regarda la lune immense, puis jeta un dernier regard à l'autre.
Dans sa résolution de partir, elle brillait maintenant sous la lune. Les mains serrées sur le coeur, Saphyr détourna la tête, définitivement.